Dans ce troisième et dernier jet de notre dossier sur la tomate industrielle, dont certains éléments sont tirés du site spécialisé tomatonews.com, nous proposons à nos lecteurs une note de lecture de l'ouvrage L'Empire de l'Or rouge. Enquête mondiale sur la tomate d'industrie. Dans une enquête au long cours, le journaliste français Jean-Baptiste Malet décrit la face cachée d'un juteux business contrôlé par la mafia italienne. Morceaux choisis de la kyrielle de révélations d'un ouvrage culte.
Les "lanceurs d'alerte" de Seneweb n'ont pas emprunté quatre chemins, pour étayer leurs propos, d'évoquer le livre-enquête du journaliste français Jean-Baptiste Malet. Intitulé L'Empire de l'or rouge. Enquête mondiale sur la tomate d'industrie, cet ouvrage de 288 pages, publié aux Éditions Fayard en mai 2017, raconte, par le menu, comment la mafia italienne a investi l'industrie de la tomate à travers le globe.
D'emblée, l'auteur indique, certainement pour titiller les narines de ses lecteurs, que le marché de la tomate représente un chiffre d'affaires annuel de plus de 15 milliards d'euros (9750 milliards de FCfa). De quoi attirer les entreprises criminelles qui cherchent, par tous les moyens, à faire fructifier des capitaux sales.
Comprenant 3 600 espèces, ce fruit est un ingrédient majeur de la gastronomie. Chaque habitant de la planète en consomme en moyenne 5 kg par an, essentiellement sous forme de concentré produit par l'industrie agroalimentaire. Elle est aussi l'élément principal du Ketchup, cette sauce que l'on accommode à toutes les… sauces. La tomate est donc un marché pour le moins juteux qui suscite les appétits les plus voraces.
Jean-Baptiste Malet révèle bien d'autres secrets : la mainmise des Chinois sur cette fabrication, le fait que les Italiens, grands exportateurs des préparations à base de tomate, sauces, plats cuisinés, pizzas, importent la pâte chinoise pour la transformer, en ajoutant de l'eau et du sel, et les revendent comme produits made in Italy.
Le Cabanon, jolie marque qui fleure bon la Provence française, est aux mains d'un groupe chinois depuis 2004. Plus rien n'est produit dans cette ex-coopérative française, hormis des transformations du concentré arrivé de Chine. En tout cas, il n'est pas sûr, après la lecture de l'ouvrage de Jean-Baptiste Malet, que le jus de tomate ou que la garniture d'une pizza à base de concentré aient les mêmes goûts.
Chine, Californie, Italie, France, Ghana, Sénégal…
Le récit nous plonge dans la mondialisation, de la Chine au Ghana, de la Californie à l'Italie, du Sénégal à la France. C'est aussi un saut dans l'histoire, qui parle du fascisme italien, de la révolution industrielle aux États-Unis, des débuts de la marque Heinz et de son universel Ketchup, mais aussi des camps de travail chinois, les laogai, où les détenus forment une main-d'œuvre bon marché. Dans un invraisemblable voyage qui l'a mené jusqu'aux couloirs du Congrès mondial de la tomate d'industrie, l'auteur de L'Empire de l'or rouge fait découvrir une réalité effrayante et insoupçonnée. Le lecteur s'égare parfois dans les incessants allers et retours historico- géographiques. Les chiffres, tonnages et prix, donnent le tournis. Mais, le message est clair : rien n'est propre dans le commerce du concentré de tomates.
La production, multipliée par six au cours des cinquante dernières années, a atteint plus de 65 millions de tonnes par an. Quant à la transformation, qui représente un quart de la production, elle a un chiffre d'affaires annuel qui frôle la barre des 10 milliards de dollars. Une aubaine pour les mafias de différents pays. "Pour la criminalité organisée, un faux étiquetage de conserves de tomates ou de bouteilles d'huile d'olive peut rapporter autant qu'un trafic de cocaïne. Mais, si le réseau tombe, les peines seront moins lourdes", écrit Jean-Baptiste Malet.
Concentrés, avariés et recyclés pour les Africains, tromperie sur l'origine des produits permise par la réglementation européenne, ajouts d'additifs plus ou moins sains… La civilisation de la tomate est loin de l'image de ce joli fruit rond et rouge qui fait la joie des consommateurs dans le monde entier. En fait, plus que de l'avenante solanacée des potagers, c'est de son commerce, "trusté comme dans tous les marchés de matières premières stratégiques par un petit milieu au sein duquel une poignée d'acteurs règnent en maîtres", qu'il faut parler. Et, on leur doit la transformation du "quart des tomates que consomme l'humanité".
"Afrique, principale destination du vieux concentré chinois"
L'enquête sur "l'innocente tomate" raconte à la fois le capitalisme, la mondialisation, l'expansion chinoise, le taylorisme, l'exploitation des travailleurs, les mafias et les fraudes à échelle planétaire. D'ailleurs, c'est par la Chine que s'ouvre cette enquête. Dans le Nord-Ouest du pays, Xinjiang, la culture intensive de la tomate d'industrie est organisée à la militaire, avec récolte par femmes et enfants, puis transfert des fruits aux usines géantes de transformation. À peau épaisse, bien dense et résistant, le produit peut supporter de longs voyages en camion, puis son maniement par les machines.
L'empire du Milieu exporte désormais des produits alimentaires à bas coût consommés sur tous les continents. Et seulement à 10% sur place. Le reste part à l'export, en particulier chez un géant de l'agroalimentaire, l'américain Heinz, fusionné avec Kraft dans Kraft Heinz, "le plus gros acheteur de tomates d'industrie au monde".
Dans la mondialisation du pomodoro, "le napolitain Petti est aujourd'hui le plus gros acheteur de concentré de tomates au monde derrière la Heinz Company". Sauf que les sauces tomate Made in Italy sont des concentrés chinois dilués à l'eau. Le mot "Chine" n'y figure pas alors que le nom "Italie" est imprimé sur la boîte. Car, la législation européenne ne l'impose pas.
Dans leur frénésie exportatrice, les Chinois ont, depuis plus de quinze ans, multiplié les usines de transformation des tomates d'industrie en triple concentré. Au point d'en posséder beaucoup trop. S'instaure alors un cercle pernicieux : "Comme le concentré excédentaire vieillit, il est cédé à bas coût". À qui ? Aux Africains.
"Un véritable marché du vieux concentré chinois se structure, dont la destination principale est l'Afrique", écrit Malet. Qu'on ne s'y méprenne donc pas : même dans des barils stériles, le produit finit par pourrir. Que se passe-t-il alors ? Il est simplement remélangé avec de l'amidon, des colorants… En atteste l'hideux tableau de la visite en cachette de l'auteur dans l'une de ces arrière-cuisines.
1 Commentaires
Anonyme
En Février, 2018 (22:58 PM)Participer à la Discussion